Chapitre 12. La nouvelle vie des Freeman

Jenny
Je n'avais pas été aussi enthousiaste que mes frères pour ce départ, je me doutais bien que ce serait dur.
Mais, aujourd'hui, j'avoue que je ne regrette rien. La maison est bien plus spacieuse que celle que nous avions à l'est et je ne me lasse pas d'admirer le paysage qui nous entoure. Bien sûr, il faut toujours travailler dur.
Papa a choisi de partager les terres entre cultures et élevage, mais nous sommes loin de pouvoir tout exploiter! Le troupeau de moutons commence à grandir, c'est surtout Frank qui s'en occupe, quand il ne rêve pas le nez au ciel!

Le matin, on se retrouve tous ensemble pour le petit déjeuner. Au début, ça nous a fait bizarre d'être ainsi tout le temps réunis sous le même toit... Papa répartit les tâches pour la journée, chacun doit s'y mettre.
Je suis un peu triste pour David : il n'y a pas d'école dans le coin, notre plus proche voisin est à plusieurs dizaines de kilomètres et la bourgade qui commence à se construire est trop loin aussi. Il n'a pas l'air de se plaindre : il est chargé du potager et du poulailler ainsi que des menus travaux dans la maison. Dès qu'il a un moment à lui, il se plonge dans un livre, il m'a dit que c'était très bien comme ça. Quel drôle de petit bonhomme, si sérieux, si mûr!
Papa, maman, Sarah et moi, on travaille aux champs. Je ne peux pas dire que j'aime vraiment ça...

Frank
Je suis très content d'être ici, même si papa nous fait travailler pire qu'à l'atelier! Je commence à organiser ma vie à ma façon, je suis de toutes façons bien plus libre, et c'est ça qui me plaît.
Les moutons, ça ne m'occupe qu'un temps, aussi je me suis mis à la chasse : j'ai appris à poser des pièges et je rapporte souvent du gibier à la maison, les femmes sont ravies!
Quand il s'agit d'aller au bourg chercher du ravitaillement, je suis toujours partant : ce qui est intéressant, c'est le pays, il est vraiment magnifique, et rien ne me plaît davantage que de le parcourir.
J'aimerais aller encore plus loin...

Sarah
Je n'aurais jamais cru que ma vie pourrait m'apporter à nouveau de la joie!
C'est si merveilleux d'avoir retrouvé ma famille, d'être acceptée avec ma petite Honorine... Comme elle grandit bien, même si elle n'est pas très sage, elle a un caractère très vif, et accepte difficilement d'être contrariée...
En fait, il n'y a, curieusement, qu'une personne à laquelle elle obéit facilement, c'est son cousin David! Je crois que c'est parce qu'elle lui voue une véritable adoration! C'est vrai qu'il devient de plus en plus beau, demain, ce sera un adolescent...

David
Déjà quatre ans qu'on est là! Je n'ai pas vu le temps s'écouler...
J'aime cette vie entre le travail de la terre et des bêtes, ce pays immense où je vais maintenant chasser avec Frank, et mes bouquins... Ça, je ne pourrai jamais m'en passer! Au bourg, il y a maintenant une vingtaine de maisons et, tenez-vous bien : une bibliothèque! Je peux m'approvisionner et je lis tout ce qui me tombe sous la main, j'apprends tellement de choses! Papa dit que ça ne sert à rien, maman se tait, mais Jenny m'encourage et me soutient. Elle est devenue très belle ma grande soeur, mais j'ai l'impression qu'elle s'ennuie... C'est vrai qu'on ne voit pas grand monde passer ici...

Jenny
Il est arrivé quelque chose de merveilleux! Lorsque papa a vendu les moutons, l'an dernier, l'acheteur n'avait pas assez de liquidités, et il a ajouté, devinez quoi? Un piano!
Papa n'était pas à la joie, mais il a accepté, en pensant le revendre plus tard. Quand j'ai travaillé chez les Seamus, il y avait un grand piano dans le salon et il m'était arrivé, en cachette, d'en caresser les touches et de pianoter quelquefois...
Maintenant, j'ai appris toute seule, je ne sais pas les notes, mais je retrouve les airs facilement. Je chante en m'accompagnant, le soir, David dit que j'ai un don pour la musique...
J'espère que personne ne voudra acheter ce magnifique instrument!

Renée
Nous vieillissons doucement...
La petite Honorine vient de fêter ses six ans, elle est de plus en plus capricieuse... Je ne me souviens pas que mes enfants aient été aussi difficiles, même Frank. Sarah lui laisse faire tout ce qu'elle veut, elle finira par avoir des ennuis avec cette enfant.
Je ne veux pas m'en mêler, mais, quand nous en discutons avec Jack, nous pensons qu'il faudrait réagir. Mais est-ce notre rôle? Cette pauvre Sarah aime tellement sa fille!
Jenny aussi m'inquiète : j'ai l'impression qu'elle n'est pas heureuse.
Et Frank... Il est de moins en moins à la maison. C'est vrai que le troupeau a grandi, et lui prend tout son temps, mais il me semble qu'il s'éloigne de nous...
Heureusement qu'il y a David... Avons-nous eu raison de partir? Je ne dis rien à Jack, mais... J'ai peur de l'avenir...