Chapitre 6. Et Léa découvre des gens bien différents dece qu'ils paraissent...

Septembre...
Je n'ai pas vu l'été passer, et pourtant, je n'ai pas fait grand chose. Je suis un peu allée à la plage avec Tim, qui n'est pas parti non plus, mais il me lasse : il ne pense qu'au travail, qu'aux études, qu'à apprendre...
En août, j'ai eu seize ans. Mes parents m'ont offert un lecteur mp3, une console de jeu, et des livres. J'ai traîné à la maison, je suis allée au ciné, à la bibliothèque, avec papa, au magasin, avec maman.
J'ai fait un peu connaissance avec Dina, la soeur de Nina, finalement, elle est pas si lointaine que ça, elle aime bien rigoler. Décision importante : je vais me faire pousser les cheveux... J'aime bien les longs cheveux des soeurs Caliente, elles ont quand même un sacré sex-appeal!

Mais la grande nouvelle du mois, ce fut le mariage de Dina, justement! On n'a pas été invité, ça a été une cérémonie intime, mais Nina m'a raconté. Il n'y avait que les mariés, les enfants de Vladimir, et Nina. Elle m'a dit que sa soeur semblait très contente : Dina est une femme anxieuse, sous son allure de bombe, et elle cherchait un homme capable de la protéger, de lui assurer la sécurité. J'ai l'impression que Nina me cache quelque chose, mais j'ai appris à attendre, à ne pas chercher à forcer ses confidences.

Au fait, le fils de Vladimir entre au Lycée il paraît que c'est une grosse tête, il vient d'avoir quatorze ans et il entre en seconde!!!!

La rentrée... Bon, c'est pas que ça me botte de reprendre les cours, mais retrouver les copains-copines, ça, oui! J'entre en première... Papa m'a fait tout un laïus sur l'importance de cette étape, avant-dernière classe avant le bac, les études... J'ai écouté sagement, pour ne pas lui faire de la peine, mais franchement, tout ça me semble si loin! Si on profitait du bon temps? Là-dessus, je pense tout à fait comme Nina : prendre les choses qui viennent, comme elles viennent, ne pas trop s'attarder sur ce qui va mal, et profiter à fond des bons moments! Lilith, la soeur d'Angela, est finalement passée en seconde, et elle se retrouve dans la classe d'Alexandre Gothik, elle dit qu'il la déprime : il trouve tout si facile!

Nina...
On passe de plus en plus de temps ensemble. Elle m'a appris à me maquiller, elle me donne des conseils pour m'habiller, maman n'a jamais le temps!
À propos de ma mère, je n'en reviens pas : son magasin marche du tonnerre, tout le monde en parle! Et moi, je la vois de moins en moins... Au début, j'étais bien contente qu'elle me lâche un peu, mais maintenant, j'ai l'impression que papa et moi, on ne compte plus pour elle... C'est encore Nina qui m'a remis sur rails :
" Ne sois pas si entière, Léa. Dans la vie, tout n'est pas blanc ou noir..."

C'est un peu avant la fin de l'année qu'elle m'a parlé d'elle et de sa soeur. Leur père est mort juste après la naissance de Nina, et leur mère quand elle avait treize ans. C'est Dina, qui en avait alors vingt, qui a pris sa soeur en charge. Elle a abandonné les études d'architecture qu'elle avait entreprises, et elle a pris un emploi pour gagner leur vie. Elle avait quelqu'un, mais il n'a pas accepté l'idée qu'il faudrait qu'il se charge aussi de la petite soeur, alors il a largué Dina... Nina dit que c'est pour ça qu'elle a toujours l'air un peu lointaine, que pour elle, l'argent, c'est devenu sa priorité...
" Mais, quand même, Vladimir Gothik!...
Nina : - Il lui apporte l'affection, la tendresse, la sécurité... Ne crois pas que ce soit si peu...
Léa : - Mais elle ne peut pas l'aimer! Il est si vieux!
Nina : - Tes parents ont aussi une grande différence d'âge...
Léa : - Pas tant! Papa a dix-neuf ans de plus que maman, et il ne fait pas si vieux que Vladimir!"
Nina a souri. Souvent, quand je m'emballe, elle ne répond pas, mais elle me regarde avec une telle gentillesse, qu'après, toute seule, je réfléchis... Souvent, je me rends compte qu'elle avait raison...

Un jour, je l'ai interrogé sur Don. Je n'avais pas oublié la fois où on les avait vus s'embrasser en pleine rue, en rentrant du Lycée. Il avait été si gentil avec moi, le jour de l'accident de papa, et maintenant encore, il téléphonait de temps en temps à la maison, pour prendre des nouvelles. Nina m'a regardé un moment avant de répondre, comme si elle cherchait à savoir ce que j'étais prête à entendre.
" Don, c'est un ami pour moi... On s'est connu au Lycée... C'est lui qui nous a incité à venir ici, Dina et moi, il y a deux ans, quand il a lui-même déménagé...
Léa : - Mais... Hum... Toi et lui... Euh...
Nina : - On a couché ensemble? C'est ça qui te travaille?
Léa : - Ben... Il a une réputation..."
Nina m'a regardé droit dans les yeux :
" Oui, j'ai couché avec lui, et ça m'arrive encore, de temps en temps... Mais, pour lui, comme pour moi, ça ne prête pas à conséquence, c'est... Comment te dire?... Purement physique... Le plaisir brut, sans fioritures et sans attente d'autre chose...
Léa : - Ça t'est égal qu'il courre après toutes les femmes?
Nina : - C'est sa nature... Ça ne l'empêche pas d'être quelqu'un sur qui je peux compter... J'ai beaucoup d'affection pour lui, mais je n'ai jamais imaginé faire ma vie avec lui!...
Léa : - Je crois que je peux comprendre... Mais il n'y a personne pour toi?"
Elle a ri, m'a caressé la joue, et elle a chantonné :
" Un jour, mon Prince viendra..."

Moi, le mien, de Prince, ça pourrait être Dirk... Enfin, pour le moment... On a les mêmes goûts : musique, sport, et jeux!... On est sorti ensemble dès octobre. Tim me fait la tronche. Bah, il s'en remettra!
Angela dit que je ne suis plus disponible... Ça, ça m'ennuie davantage... Mais Dirk est un garçon timide, il est lent à la détente, il lui a fallu trois mois pour commencer à me draguer, et j'avais pas envie de faire le boulot à sa place! C'est vrai, quoi, maintenant, on dirait que c'est à nous les filles, de faire le premier pas! Et moi, j'avais envie de me laisser séduire...

Et ben là, j'avais mal calculé mon coup! Les vacances d'hiver sont arrivées avant qu'il ne tente quoi que ce soit, je suis allée au ski, et, pas de bol, un ahuri qui descendait en skate à toutes blindes m'est rentré dedans. Résultat : une patte cassée, plâtre pour deux mois! C'est bien ma veine!
Consolation, le médecin attitré de la famille s'est inquiété de moi : je veux dire que Don s'est proposé pour me conduire au Lycée (faut dire qu'il est juste à côté de l'Hôpital), j'étais vraiment pas apte à prendre le car! Il a terminé son internat au printemps dernier, il travaille avec des horaires à peu près réguliers, sauf quand il est de garde. Pour le retour, ça dépend, des fois c'est lui, des fois c'est papa, des fois Nina, ou même Vladimir (là, j'aime franchement moins), mais il faut reconnaître que la solidarité, ça existe, j'en suis baba! Quand c'est Don qui me ramène, généralement le mardi, jour où je termine tard au Lycée, il dîne souvent à la maison.

Des fois, quand il a le temps, on discute en attendant mes parents. Il aime bien me provoquer pour me faire sortir de mes gonds, au début, j'ai marché, mais comme je le connais mieux, je devine. Son jeu préféré, c'est de déblatérer sur les femmes, il sort des trucs épouvantables sur un ton convainquant, comme si les nénettes étaient de parfaites imbéciles. Maintenant, je sais, il suffit que je regarde ses yeux : quand il blague, il y a une lueur particulière dans son regard.
" C'est pas drôle, Léa! Tu te laisses plus prendre!
Léa : - Hé, hé, je te vois venir, tu ne m'auras plus!"
Mais des fois, il sort de telles énormités que je ne réfléchis pas et je bondis, alors là, il est heureux, et il rigole comme un gosse... Nina a raison, il est très gentil et drôlement serviable : après tout, rien ne l'obligeait à s'occuper d'une gamine, (c'est lui qui dit que je suis une gamine, hein, pas moi!), alors qu'il est quand même très pris... entre son boulot et ses conquêtes!

Oups! La nouvelle m'est restée en travers de la gorge... Tenez vous bien : Dina est enceinte! Beurk! Comment a-t-elle pu? Faire l'amour avec ce vieux croûton! Quand je le vois, avec sa mine réjouie, ça me degoûte... Papa, qui va souvent chez eux bavarder avec son copain, dit que Dina a l'air resplendissante... Moi, je veux tout ce qu'on veut... Mais quand même!
Nina m'a regardé d'une façon bizarre quand je lui ai dit ce que j'en pensais, il y avait une sorte de douleur dans ses yeux :
" Sois un peu plus tolérante, Léa... Ce n'est pas parce que tu ne comprends pas que les autres sont forcément veules ou lâches..."
Elle avait l'air malheureuse, j'ai regretté ce que j'avais dit et je l'ai embrassé. Après tout, qu'est-ce que je savais des rapports de Dina et de Vladimir?

Enfin, l'essentiel, c'est qu'on m'a enlevé mon plâtre! Pour la réeducation, je fais de la kiné, mais Don m'a dit :
" Profite de ce que tu as une piscine à ta disposition, ce sera ton meilleur remède! Et puis reprends tes exercices, mais doucement..."
C'est de ne plus le voir tous les jours qui me manquera le plus... Mais, ce qui est important, c'est que je vais pouvoir reprendre les choses sérieuses avec Dirk!... Ah, enfin, il m'a embrassée! Hé, hé! Il embrasse pas mal.. Se serait-il exercé pendant que j'étais handicapée??? Avec qui???

Chez les Dourêve, j'ai souvent rencontré Sandra Gothik, elle vient presque tous les jours. Dirk m'a dit qu'il s'était rendu compte qu'elle passait parfois la nuit chez eux; en général, elle file au petit matin, mais il a bien entendu des rires venant de la chambre de son père... Il dit que c'est pas ses oignons... Quand même, si elle devient sa belle-mère, ce sera ses oignons!... Bon, mais je ne le lui ai pas dit : je commence à savoir tenir ma langue! Maman l'a invité à la maison : elle l'a connue au magasin. Ça m'a donné l'occasion de bavarder un peu avec elle, et de lui flanquer une pâtée aux échecs (c'est que je suis devenue bonne, du temps où je jouais avec Tim!). Elle est très discrète mais j'ai compris que le remariage de son père et le petit frère ou la petite soeur à venir, ça ne l'emballait pas des masses! M'étonnerait pas qu'elle déménage bientôt... Elle travaille au même labo que papa (remarquez, il n'y en a pas d'autre dans le coin...), et elle m'a dit qu'elle l'admirait beaucoup, que c'était un grand savant, très compétent... Mais non, ce n'est pas pour ça qu'elle me plaît mieux! Vous voyez comment vous êtes? Elle est marrante : quand j'ai mis Don sur le tapis, elle est devenue écarlate! Ça m'a fait rire de la part d'une femme de son âge... Mais maman est très vite intervenue pour changer de conversation en me jetant un regard sombre. Okay, okay! On ne parlera pas des anciennes amours de Sandra pour le Casanova de Montsimpa!

Ben dites donc! Il lui faut le temps, mais quand il s'y met, l'ami Dirk... Là, je ne suis pas très fière de moi... Je reconnais que j'aime bien plaire aux garçons, flirter, me faire embrasser, rigoler, aguicher, comme dirait papa... Mais cet après-midi-là, quand je suis allée chez Dirk, il était tout seul chez lui. J'aurais du faire un peu plus attention à son air bizarre, mais je ne me suis pas méfiée, je suis d'un naturel confiant...
On s'est installé sur le canapé, on s'est embrassé, câliné, comme d'hab'. Mais quand il m'a quasiment renversé sur les coussins et qu'il a voulu m'enlever mon tee-shirt, j'ai compris qu'il avait décidé d'aller plus loin... Et moi, je ne voulais pas...
Ben oui, Dirk, il est bien gentil, mais je n'ai aucune envie de faire l'amour avec lui - ni avec quelqu'un d'autre, pour le moment -. Je l'ai repoussé et je me suis relevée en râlant. Il l'a très mal pris, me traitant d'allumeuse et de sainte nitouche. Il a dit aussi qu'il avait dix-huit ans et que j'allais en avoir dix-sept dans trois mois, alors qu'il serait peut-être temps que je cesse de me conduire comme une gamine... On s'est dit des choses fort désagréables, se traitant de noms d'oiseaux (que je ne répéterai pas ici, afin de ne pas choquer vos chastes oreilles...), et je suis partie les yeux plein de larmes.

À la maison, il ne devait y avoir que papa. Je me voyais mal lui parler de mon désarroi. Il ne me restait que Nina... Elle revenait juste du travail, et quand elle a vu que j'avais pleuré, elle m'a prise dans ses bras :
" Léa, qu'est-ce qui t'arrive? Viens, rentrons, je vais te faire un bon thé, et tu vas me raconter..."
J'ai sangloté laissant couler mon amertume contre son épaule. Elle m'a laissé parler sans m'interrompre jusqu'à ce que j'ai fini de lui raconter ma mésaventure. Et puis là, elle a croisé ses mains sur ses genoux, et elle m'a parlé très sérieusement.
" Léa, c'est vrai que tu as grandi, ça fait deux ans que tu es arrivée ici! Tu n'es plus une petite fille, les jeunes gens, et les hommes, ne te regardent déjà plus de la même façon. Tu n'es pas encore adulte, mais il va falloir que tu fasses plus attention, sinon, tu risques de te mettre dans des situations que tu n'auras pas voulues... Ou alors, il faudra que tu acceptes d'aller jusqu'au bout, de devenir une femme...
- J'ai pas envie!"
Nina m'a souri très gentiment :
" Tu n'auras pas le choix, Léa... Nul ne peut retenir le temps qui passe..."
Je sais bien qu'elle a raison... Mais, s'il vous plaît, la vie, attendez encore un peu!...